Lisez attentivement le texte ci-dessous, puis suivez les consignes indiquées pour répondre à chacune des 4 premières questions.
Manifs de France
Peut-être est-il temps de s’intéresser à la nature profonde des défilés de ces dernières semaines ? Qu’est-ce qu’une manifestation à la Française ? Comment décrypter(1) le code génétique de ces cortèges que le monde entier nous envie avec une pointe d’effarement(2) ?
Un détour par l’étranger peut servir. Assez justement, un éditorialiste du Herald Tribune a établi un parallèle entre les grandes manifestations qui ont scandé(3) la crise du CPE(4) et les processions religieuses de nos grands-parents, quand Dieu était encore de ce monde et les athées des orgueilleux magnifiques. Un chroniqueur de l’hebdomadaire The Village Voice constate, lui, que le mouvement parti des universités pour se répandre sur tout le territoire ” occupe un espace sacré dans le génome social du pays, un peu comme le base-ball et le boursicotage aux Etats-Unis “.
C’est bien dit, mais insuffisant. On ne va tout de même pas laisser le dernier mot à la presse étrangère ! En réalité, la manifestation est consubstantielle à la République française. Donc impénétrable aux regards extérieurs. On se moque à peine … La première manifestation de l’histoire moderne en France remonte au 14 juillet 1790, lorsque le peuple parisien convergea vers l’esplanade du Champs-de-Mars pour célébrer le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Manif mémorable: on bivouaqua sur place, on pique-niqua. Cent soixante mille personnes étaient assises. 150 000 debout, et 50 000 hommes défilèrent en armes. Les chiffres sont de la responsabilité de l’historien Jules Michelet (1798-1874).
A partir de ce jour, il y eut deux sortes de manifestations: les festives et les contestataires (on caricature par souci d’efficacité). Les festives correspondent à ces rares moments d’union et de ferveur nationale qui ponctuent notre histoire : manifs de la Victoire (1918), de la Libération (1944), du bonheur (8 mai 1945).
Pour le reste, les manifestations ont le plus souvent pris l’allure(5) de longs cortèges revendicatifs sur fond de pompes funèbres. Pour contourner l’interdiction de se rassembler, les républicains avaient pris l’habitude au XIX ème siècle de suivre les obsèques de figures emblématiques de leur cause. Citons pour mémoire les enterrements des généraux Foix et Lamarque (1825 et 1832) ou encore du journaliste Victor Noir (1869), tué en duel par le prince Pierre Bonaparte. A chaque fois, des foules de plusieurs dizaines de milliers de personnes se retrouvaient. C’était le temps des manifs en noir. Le temps du défi.
Un temps qui s’est perpétué au XX ème siècle dans le registre de la colère et de la gravité avec les obsèques des neuf victimes du métro Charonne (1962), du militant gauchiste René-Pierre Overney (1972) ou dans la volonté d’affirmation d’une force politique avec les enterrements des dirigeants communistes comme Maurice Thorez (1964) ou Jacques Duclos (1975).
Depuis, tout s’est compliqué. Sinon inversé. A partir de 1995, les Français ont littéralement réinventé l’art de manifester. D’abord, on ne revendique plus ; on défend des droits acquis. On ne défile plus pour soi, mais pour les autres. Du moins le dit-on. Ainsi les “protégés” manifestent en faveur des “précaires”. Les syndiqués du secteur public assurent descendre dans la rue pour les salariés du privé qui n’en ont ni le temps ni la possibilité.
Ensuite, la manifestation a quitté le champ purement social. Elle est tantôt un coup de semonce(6) à l’adresse du pouvoir, tantôt un lever de rideau électoral. Elle joue le rôle d’une Cour suprême populaire dont la vocation ultime est de censurer les lois qui ne lui agréent pas. Changement proprement révolutionnaire. La manif s’est muée en acte politique majeur. Le législateur vote la loi, elle peut dévoter. Le président de la République promulgue, elle abroge. Ce n’est pas rien. C’est made in France.
Laurent Greilsamer, Le Monde (11/04/06 )
(1) – décrypter : déchiffrer
(2) – effarement : peur, frayeur
(3) – scander : rythmer
(4) – CPE : Contrat Premier Emploi
(5) – prendre l´allure de : ressembler à
(6) – un coup de semonce : un avertissement